Une dépêche de l’AEF informait récemment que le 13 octobre 2009 l’OCDE organisait un atelier “L’éducation, un investissement rentable”. Des propos d’Éric Charbonnier, économiste et expert sur les questions d’éducation à l’OCDE, rapportés par l’AEF, on pouvait retenir trois idées principales
qui confortent le développement d’une logique marchande dans notre secteur et qui vont permettre de justifier l’augmentation des frais d’inscription dans nos universités publiques.
1. Assurer la rentabilité financière de l’enseignement supérieur
Selon la dépêche de l’AEF, même si la poursuite des études occasionne des frais supplémentaires pour les étudiants (notamment les frais d’inscription) et si cela représente pour l’État des dépenses sociales en plus, l’opération reste globalement intéressante car le diplômé de l’enseignement supérieur s’assure de meilleurs salaires tout en réduisant les risques de chômage et, de son côté, l’État qui “engrange plus d’impôts” augmente à terme ses recettes. En effet, “un homme diplômé de l’enseignement supérieur rapportera en moyenne 50 000 dollars US à l’État sur sa vie professionnelle”. Compte tenu des écarts de salaires, une femme rapporterait moins.
Ainsi, les États qui manquent de diplômés de l’enseignement supérieur auraient donc tout intérêt à investir dans ce domaine.
Si le marché de la connaissance s’ouvre très largement au privé et aux entreprises, il serait donc bien venu que l’État ne réduise pas les dépenses dans ce domaine, voire les augmente pour garantir la croissance du marché
aux investisseurs privés.
On pourrait rapprocher cette réflexion des difficultés que connaissent aujourd’hui les jeunes docteurs qui attendent désespérément de trouver un emploi dans l’enseignement supérieur notamment dans le domaine
des LSH.
On peut trouver des informations complémentaires sur l’insertion des jeunes issus de l’enseignement supérieur sur le site du CEREQ : Génération 2004
2. Emprunter pour investir sur son avenir
Pour l’OCDE, parce que “dans beaucoup de pays, il y aura dans les quinze années à venir des inquiétudes sur la qualité de l’enseignement”, il faudra assurer l’équilibre entre les financements privés et les dépenses publiques. Les financements privés étant constitués de financements par les entreprises et des frais de scolarité.
Des exemples sont donnés : “aux pays bas, les financements privés représentent moins de 15% contre 50% en Australie et plus de 60% en Corée et au Japon”.
Pour la France, afin qu’il soit possible d’augmenter les frais de scolarité, Éric Charbonnier préconise la rénovation des filières qui manquent de débouchés (notamment les sciences humaines) et qui sont trop peu attractives. Ceci pour qu’il soit possible de mettre en place des prêts d’études et/ou des bourses.
En prenant valeur d’investissement sur l’avenir, l’enseignement supérieur devient donc un enjeu pour l’étudiant. Ce qui justifiera qu’il puisse emprunter pour espérer accéder à de meilleurs revenus et s’endetter avant même d’avoir un emploi.
On notera que dans son rapport remis à la ministre fin 2008, Nouveaux partenariats Universités Grandes Écoles, le recteur Philip avançait la notion de vrai coût des études à l’université et préconisait de pratiquer ce vrai coût pour les étudiants étrangers que l’État pourrait aider avec des bourses.
Suivant cette logique financière et comptable encouragée par la mise en oeuvre de la LOLF dans nos établissements, il est clair que l’augmentation des frais d’inscription et de scolarité dans les universités est programmée. Seule sa mise en oeuvre peut être différée.
3. Rassurer l’étudiant-investisseur en vantant les mérites de l’insertion
Pour que les étudiants acceptent de s’engager dans l’enseignement supérieur, c’est-à-dire pour qu’ils puissent décider emprunter pour leurs études, il est nécessaire de les rassurer sur le risque encouru en leur indiquant quels sont les débouchés de la filière qu’ils vont choisir.
Selon l’interlocuteur de l’AEF, “L’Unef n’est pas hostile à une augmentation des droits d’inscription. Ce qu’elle reproche c’est de faire payer pour des filières qui n’ont pas de débouchés”. Il faudrait, selon lui, arriver à mettre en oeuvre un “triangle magique” associant “qualité-efficacité-efficience”. Des pays comme la Finlande, l’Australie, le Canada ou le Japon y seraient parvenus. Ce qui montrerait “qu’avec des investissements modérés, on peut assurer un enseignement de qualité optimale”.
C’est pour partie la mission qui est dévolue aux BAIP (Bureaux d’Aide à l’Insertion Professionnelle) qui sont en train de se mettre en place sous diverses appellations dans nos établissements pour répondre à la nouvelle mission d’insertion introduite par la loi LRU. Nouvelle mission qui va progressivement pousser l’enseignement supérieur vers des objectifs de “professionnalisation” des études pour renforcer l’employabilité des étudiants et opérer le glissement des qualifications vers les compétences prônées par le système du Tuning. La gestion des compétences va, dans un premier temps, se superposer à l’organisation disciplinaire puis, progressivement, devenir prépondérante et normative des offres de formation universitaires.
L’insertion des étudiants constituera par ailleurs un critère d’évaluation des universités et de leur offre de formation pour l’attribution des moyens alloués par l’État. La logique du marché s’impose.
4. Marchandisation de l’enseignement supérieur
C’est bien l’objectif visé par l’OCDE. Certes la nouvelle mission d’insertion que la loi LRU attribue aux universités répond certes à une aspiration légitime des jeunes diplômés à trouver un emploi à l’issue de leurs études supérieures (selon le rapport Jolion – comité de suivi master – la filière doctorale devant être considérée comme un mode de professionnalisation). Mais elle a surtout pour effet de transformer la nature de l’enseignement supérieur public en imposant son alignement sur des critères d’évaluation commerciaux de consommation. Ce qui va pernicieusement amener les étudiants et leurs familles à considérer qu’en entrant à l’université ils achètent un service intégrant tout à la fois la formation mais aussi une certaine capacité à garantir un emploi à l’issue de leurs études, période qui s’avère être dans bien des cas difficile pour l’accession à un premier emploi correspondant aux aspirations professionnelles et financières du jeune diplômé.
Les universités ne percevront donc plus des droits d’inscription mais seront progressivement amenées à facturer des frais de scolarité pour un service complet incluant formation, conditions d’études et insertion. On ne va plus à l’école pour s’instruire et s’émanciper mais pour obtenir un service (voir à ce sujet l’opération d’Acadomia “Bachelier ou remboursé“).
Dans leur rapport pour le Grand Emprunt, Michel Rocard et Alain Juppé écrivent page 27 : « Cette position défavorable [ des universités et des publications scientifiques françaises ] dans la compétition mondiale s’explique en partie par la faible diversité des modes de financement de nos établissements d’enseignement supérieur, presque exclusivement publics, alors que les systèmes étrangers reposent également sur des financements privés (frais de scolarité et dotations en capital ou endowments) ».
Ce qui ne laisse aucun doute sur l’augmentation rapide et conséquente des frais d’inscription.
Aux États-Unis qui constituent le modèle de nos dirigeants actuels, dans l’État de Californie, touché de plein fouet par la crise économique et la hausse du chômage, les étudiants occupent les campus pour manifester contre une hausse de 32% de leurs frais de scolarité. Selon Le Figaro « Des dizaines d’étudiants ont été arrêtés au prestigieux campus de Berkeley… (…) L’augmentation, effective en janvier 2010, fera passer les frais de scolarité de 7.788 à 10.302 dollars pour la plupart des étudiants… ».
La financiarisation de l’Enseignement Supérieur et son assujettissement à la bulle financière sont bien réelles et n’auront d’autres effets qu’élitisme, sélection et ségrégation.
L’enseignement supérieur devient un produit d’investissement, avec un coût conséquent qui peut nécessiter un emprunt souscrit par les étudiants ou leurs familles que les universités s’efforceront de garantir tant par la qualité de leur formation et des moyens mis à disposition des étudiants que des perspectives d’embauche à l’issue des études. Ce qui aura sans nul doute